THOMAS HILDBRAND
HERRSCHAFT, SCHRIFT UND
GEDÄCHTNIS
DAS KLOSTER ALLERHEILIGEN UND SEIN UMGANG MIT WISSEN IN WIRTSCHAFT, RECHT UND ARCHIV (11.-16. JAHRHUNDERT)
CHRONOS, ZÜRICH 1996, 461 P., FS 78.-
Il arrive qu'un monastère soit choisi froidement, si l'on peut dire, comme champ d'étude par un historien attentif à disposer d'un corpus de sources assez vaste pour déployer sa problématique. C'est ce qui vient d'arriver à l'abbaye de Tous-les-Saints à Schaffhouse, dont les fonds d'archives ont permis une étude de la pratique de l'écrit entre le XIe et le XVIe siècle.
S'il est considéré dans une perspective à la fois typologique et quantitative, l'écrit est en lui-même une source pour l'historien; or, trop souvent encore, on ne se soucie des documents que pour leur contenu et on regarde la masse actuellement conservée des archives d'une institution ou d'une région que comme le résultat de trop de hasards pour autoriser des conclusions: un incendie de plus ou de moins, des souris plus ou moins voraces et tout serait différent... D'une grande exigence conceptuelle, la thèse de Thomas Hildbrand refuse cette facilité et se révélera comme une étude exemplaire des sources produites par une institution, considérées comme un ensemble articulé, moyen d'administration, mais aussi source de légitimité; elle est aussi un bel exemple d'étude du «passage à l'écrit» dans une région d'Europe.
C'est une contribution notable à la transformation de la diplomatique, science si minutieuse des actes qu'elle devient poussive dès qu'il y en a beaucoup. L'Occident «passe» à l'écrit au XII-XIIIe siècle, selon un mouvement qui va du sud vers le nord et de l'ouest vers l'est. Or, la diplomatique cesse le plus souvent ses efforts à ce moment, signe un peu malheureux d'impotence (à quand une véritable science des sources administratives non seulement de la fin du Moyen Âge, mais des siècles plus récents?). Il s'agit de développer une histoire de l'écrit et du document pour les périodes où l'écrit est massivement employé, comme c'est le cas à Schaffhouse dès la fin du XIIIe siècle.
À ce titre, la riche partie théorique, nourrie des travaux anglais et allemands qui ont fait école, aurait pu s'inspirer aussi de l'Italie. À part l'inévitable référence à Eco, ce pays est absent, alors que sa situation documentaire (v. p. ex. Jean-Claude Maire Vigueur, «Révolution documentaire et révolution scripturaire: le cas de l'Italie médiévale», Bibliothèque de l'École des Chartes 153 [1995], 177-185) et les réflexions qu'elle suscite chez ses historiens (A. Petrucci notamment) auraient pu amener l'auteur à donner à l'écrit sa pleine dimension, en étudiant symétriquement la production libraire et la production documentaire. En effet, l'abbaye, qui a une importante bibliothèque, est aussi un lieu de production de manuscrits. On aurait pu lier bibliothèque et archives tant statistiquement - on cons-tate par exemple le même fléchissement au milieu du XIIe siècle - que techniquement: le monastère utilise à certaines époques exactement le même type d'écri-ture pour ses manuscrits et ses chartes. De ce fait, le récent Katalog der mittelalterlichen Handschriften der Ministerialbibliothek Schaffhausen, de R. Gamper, G. Knoch-Mund et M. Stähli (Dietikon-Zürich 1994), apparaît comme un complément révélateur (v. notamment 11-37), dans la mesure où l'essentiel des manuscrits répertoriés vient de la bibliothèque de Tous-les-Saints et y a même souvent été écrit.
Cette étude intéressera autant par le gros effort de conceptualisation que par la richesse des informations mises en ¦uvre. Signalons la question du passage du latin à la langue vulgaire, celle des techniques d'informations et des rapports que tel type de source implique avec les dépendants du monastère, celle encore, plus politique, des rapports en quelque sorte défensifs qu'entretient un monastère avec les insti-tutions municipales, importante dans le cas de Schaffhouse où la ville se transforme lentement en État.
Jean-Daniel Morerod (Neuchâtel)
Traverse 1997/3 (141-142)