L’intérêt pour les écrits autobiographiques, sensible depuis déjà une quinzaine d’années et le retour du sujet en histoire, ne se dément toujours pas. Cette publication vient en apporter une nouvelle preuve, et se signale par le choix original du rapprochement d’une documentation certes bien connue mais souvent traitée à part. D’un côté les écrits autobiographiques, pour la plupart célèbres et édités, des élites nurembergeoises et augsbourgeoises depuis Ulman Stromer (1329-1407) jusqu’aux Tucher, Imhoff et Behaim (ces dernier recueillant à juste titre l’attention la plus forte en raison de la constitution d’un véritable fonds d’archives familiales au XVIe s. par les hommes et les femmes du lignage) ; de l’autre, les écrits souverains de Charles IV de Bohême (1316-1378), de Frédéric III de Habsbourg (1415-1493), d’Eneas Silvius Piccolomini (1405-1464), le pape Pie II, et de Maximilien de Habsbourg (1459-1519).
Après une première partie bien charpentée sur les différentes définitions des «témoignages de soi», sur les fonctions de ce type d’écrit dans la société médiévale, sur les richesses et les limites de cette documentation pour l’historien, le second temps de la réflexion s’attache à la présentation et à l’interprétation des écrits des élites nurembergeoises et augsbourgeoises du XIVe au XVIe s., c’est-à-dire au temps de l’essor de ce type d’écriture en ville. Trois axes d’observation caractérisent l’analyse : la prise en compte du public et des destinataires de ces écrits, les stratégies d’écriture en lien avec la constitution d’une mémoire familiale classée, archivée et «genrée» à l’exemple des Behaim de Nuremberg, la proximité de nombreux auteurs avec le milieu de la cour royale. Précisément c’est l’écriture royale ou souveraine de soi qui constitue le troisième temps de l’étude. L’auteur montre bien comment, de Charles IV au milieu du XIVe s. à Maximilien au début du XVIe, la parole de soi du roi passe du combat et de l’affranchissement de l’héritier pour se faire panégyrique.
La conclusion souligne à juste titre la fonction sociale et symbolique de cette parole autoproclamée tant en milieu urbain quand dans la cour royale : l’évolution du genre fait passer de la confession-conversion à la justification du statut social et des mérites personnels. Un nouveau genre naît parallèlement à ce courant patricien, que l’on a vu essentiellement représenté dans l’Allemagne moyenne et méridionale (Augsbourg et Nuremberg), celui du récit personnel des rois et des princes qui insiste sur la légitimation et l’idéalisation de la personne et de l’office du roi. Là encore ce genre est plus dominant dans le Sud que dans le Nord de l’Empire si l’on songe surtout aux Habsbourg (on remarquera que les deux phénomènes urbain et royal sont liés, les villes de Nuremberg et d’Augsbourg étant les «capitales» réelles des rois de la fin du Moyen Âge…). Cette conclusion pourrait élargir encore les perspectives de recherche en reprenant le titre même de l’ouvrage (Deutsche Autobiographik) : qu’y-a-t-il de spécifiquement «allemand» dans ce type d’écriture de soi ? Pourquoi ce genre est-il davantage représenté dans les milieux urbains italiens et allemands à la fin du Moyen Âge et par comparaison moindrement cultivé dans les villes françaises, anglaises et espagnoles ? La question de la comparaison et de la différenciation à l’échelle européenne vaut d’ailleurs pour les autobiographies souveraines si l’on songe que l’on rencontre dans l’Empire aux XIVe et XVe s. la Vita de Charles IV et les écrits personnels de Frédéric III puis de Maximilien tandis que, par exemple, aucun roi de France médiéval n’écrit sur lui-même. C’est dire tout le prix d’une enquête comparative et internationale, qui reste encore à mener mais qui peut d’ores et déjà profiter des chapitres de cette brève mais stimulante étude.
Pierre MONNET (École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris).
Bulletin d’Information de la Mission Historique Française en Allemagne, No 42, 2006, S. 288–289.